Pierre douanier en entreprise : Acte II – Après la douane, la traçabilité !

Pierre douanier en entreprise // Acte II – Après la douane, la traçabilité !

Acte II – Après la douane, la traçabilité !

 

Pierre avait « toute la confiance » de son patron.

Avec son conseil, il avait géré 2 contrôles douaniers, monté l’équipe douane, recruté des experts, suivi un parcours de formations, écrit des procédures, choisi un schéma de dédouanement, mis en place des régimes particuliers, sollicité une suspension tarifaire, optimisé le sourcing, contractualisé avec ses représentants en douane, etc. Sécurisation et optimisation étaient devenues ses deux maîtres-mots.

Pierre avait eu de l’ODASCE, il était dans la place.

Du Juridique à la Supply, en passant par les achats, la finance et l’ADV, tous avaient voulu le récupérer dans leurs services, mais son DG avait tenu bon et avait tranché sur les recommandations de Pierre : la douane serait un service à part entière, directement rattachée à la DG. Une consécration.

Bref, depuis désormais deux ans et la fin du contrôle douanier qui lui avait permis enfin de révéler sa matière au grand monde de son entreprise, Pierre est donc devenu quelqu’un d’important. Pierre est considéré. Pierre fait partie du comité exécutif (COMEX), Pierre voyage en première.

Il a même un titre officiel, et pas n’importe lequel : Pierre est « Global International Trade manager »…
Pierre n’a jamais vraiment compris son titre, ni l’ensemble des sujets que cela pouvait concerner, mais Pierre est heureux. Tout est beau dans le meilleur des mondes.

Jusqu’à ce matin de novembre 2019 ou Pierre a reçu un petit e-mail de son patron, Jean-Paul Sangêne, Directeur Général de la société, avec écrit simplement en objet « Quelques missions annexes ». Au début, Pierre fut honoré, mais quelque peu surpris. Puis, lorsqu’il ouvrit le mail, Pierre fut effrayé, quelque peu déprimé puis il se dit que la douane ça ne s’arrête jamais :

 

Objet : Sujets incompréhensibles à refiler à Pierre

Cher Pierre,

La douane, c’est compliqué. En plus, Trump s’en mêle et les anglais nous font tourner en bourrique.

Quelques petits points qui posent problèmes :
Choses à faire pour exporter nos moteurs Vers l’Iran, la Russie, et la Corée du Nord,
Formalités pour importer nos tubes en aciers de Chine et ne pas payer les droits compensateurs,
Options envisageables pour inonder le marché US malgré les « Trump Taxes »,
Le Brexit, quid ?
Un RDE dans le cadre du CDU nous demande si on est OEA : en français ça veut dire quoi ?
Gestion des taxes électricité, gaz naturel et tout et tout : taux plein, réduit ou exonération ?

Enfin, nos actionnaires américains l’ont dit : nous devons optimiser notre traçabilité pour être plus compliant. Pourriez-vous régler ces quelques sujets d’ici la semaine prochaine (au plus tard) ? Efficacité et persévérance mon petit Pierre, as usual. Merci.

 

Au départ, Pierre crut à une farce. Mais non. Il pensa bien à solliciter une augmentation de rémunération subséquente mais il se rappela la phrase d’Evelyne I., célèbre ODAScieuse : « c’est à la fin du gala que l’on compte les verres » et donc il décida d’attendre d’avoir fait le boulot.

Il tenta bien malgré tout d’expliquer en interne que chacun de ces sujets constituait, stricto sensu, une analyse à part entière avec des enjeux et des risques significatifs… Mais rapidement, Pierre s’est retrouvé tout seul en salle de réunion, avec son stagiaire et une feuille blanche.

Alors Pierre a fait comme toujours : il a pris les choses en main, a appelé son (excellent) avocat (au crâne chauve et luisant), téléchargé quelques centaines de pages de textes officiels et prévenu sa femme qu’il rentrerait plus tard ces prochaines semaines.

Il a relu le règlement sur les biens à double usage, il a discuté de la clause « catch all » avec son conseil, il a monté des dossiers pour le SBDU. Il a analysé les règlements anti-dumping, il a parlé risques de contournement, il a appris que l’OLAF n’est pas seulement un bonhomme de neige dans un dessin animé (mais l’Organisme Européen de Lutte Anti Fraude dans la vraie vie), il a analysé la « guerre commerciale » US/Chine/UE et ses impacts douaniers, il a prédit les conséquences douanières du BREXIT (sans savoir évidemment si le Brexit aurait lieu un jour !), il a relu et affiné le projet de contrat avec son RDE, il a même compris les conclusions de l’audit de son avocat sur les Taxes Intérieures de Consommation…Et tout cela en plus de ses activités habituelles.

Ensuite, Pierre a présenté ses conclusions en COMEX : des risques, des mesures correctives, des économies significatives (« il est plus aisé d’optimiser 14% de droits de douane que négocier 1,4% de marge ! » comme dit souvent l’illustre Jean Thomasset, le Pape de la douane).

« Très intéressant finalement tout ça » a répondu le DG…..« c’était mon idée » a jouté le DAF qui n’avait jamais entendu parler de tout ça avant la réunion. Pierre a souri. Pierre est un artiste, il œuvre dans l’ombre mais il atteint toujours la lumière.

Le COMEX touche à sa fin et Pierre entrevoit l’avenir sereinement, car il sait qu’être responsable douane en entreprise, cela veut dire accepter de récupérer tous les sujets chauds (sans limite de champ d’action), que personne ne comprend, en urgence et pour avant-hier ! Et ça ne s’arrête jamais.

Grâce à lui, la société de Pierre est Opérateur Économique Agréé, titulaire d’un Perfectionnement Actif, d’un dédouanement centralisé… mais surtout bientôt société pilote pour le DPA (Dédouanement par Puce Alphanumérique), qui permettra de dédouaner avec une traçabilité ultra garantie puisqu’en flashant ce code intégré au produit, nous pourrons voir défiler en quelques secondes le film de sa fabrication avec des ratios précis sur les matières premières, les lieux de production et même les empreintes des ouvriers. Avec ce système, les problématiques archaïques de classement, d’origine ou de valeur seront vite oubliées : quand on a 100% de traçabilité, c’est la fin du contentieux et la technologie guide le droit !

D’ailleurs Pierre le sait bien, dans quelques mois, chaque produit pourra être téléchargé puis cyber-importé et imprimé avec une imprimante multifonction 4D. A condition bien évidemment d’être certifié « Opérateur Numérique Agréé », le label de la Compliance Douanière.

Car tout est lié : pour être compliant, il faut respecter les normes douanières, mettre en œuvre les outils modernes et prendre ses responsabilités… L’administration des douanes le dit souvent : gagnant-gagnant, c’est à dire plus de libertés, mais aussi plus de responsabilités.

Alors, nouvellement gratifié, Pierre a mis une règle en place, inspirée de l’illustre Empereur Napoléon :
« anticiper, c’est vaincre ».

Désormais, la douane est une stratégie, plus une contrainte.

 

Comme Pierre, prenez les choses en mains, l’avenir nous appartient !

 

Stanislas Roquebert

Avocat à la Cour – Associé
LightHouse LHLF – Société d’Avocats